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Rédaction

Mauriac à Malagar

/ journal première pluie
/ année 2021
Appartenant à cette catégorie de lecteurs annotant, sur-lignant, soulignant et prenant des notes (n’en déplaisent aux amateurs de livres sous cloche), j’ai accumulé durant mes courtes années de vie une quantité astronomique de mots archivés entre deux chapitres dont je ne sais quoi faire.  Persuadée de la grandeur des mots et de leurs résonances multiples, je souhaite vous partager chaque semaines une ou deux phrases qui, j’espère, sauront vous émouvoir. 
Pour ce premier rendez-vous c’est au cœur des lignes et des mots de François Mauriac, écrivain régionaliste du 20 ième siècle, que je souhaite vous plonger.


“Le vrai est que les liens qui nous unissent à une maison, à un jardin, sont du même ordre que ceux de l’amour. Ce n’est plus une propriété comme des milliers d’autres. C’est un symphonie écrite pour moi seul et que j’écoute depuis l’enfance et dont le dernier accord sera mon dernier souffle.”
FM - Bloc-notes, 1958. 
Au travers de ses lignes d’une poésie inouïe, une occasion nous est offerte de s’imprégner de la relation qu’entretenait François Mauriac avec sa résidence secondaire, Malagar.

Demeure familiale située dans le sud-gironde dont il hérite en 1927, Malagar fut le théâtre et le terreau de bon nombre de ses romans. L’amour qu’il porte à « sa maison des champs» débute quelques années plus tôt, en 1913, date à partir de laquelle il y viendra passer trois mois, de Pâques aux vendanges, tous les ans. Mauriac nous confie d’ailleurs ceci :

« Je n’y habite que durant trois mois de l’année, mais c’est le temps où je me ressemble le plus ».
FM, Blocs-notes, 1951
DE L'HOMME DE LETTRE
S’envolant de Bordeaux en 1907, Francois Mauriac quitte sa ville natale pour aller s’installer à Paris. Si cela lui permet de faire ses débuts sur la scène littéraire de l’époque grâce à Maurice Barrès, la tranquillité de la province vient à lui manquer.

Décidant de descendre de Paris à Malagar (près de Bordeaux) durant trois mois de l’année à partir de 1913, Malagar deviendra peu à peu son lieu d’écriture de prédilection. Outre le calme que lui assure le domaine familial, Malagar fut avant tout le lieu d’inspiration principal du romancier qu’il fut. Inspiré par les événements de la vie quotidienne et surtout par les lieux dans lesquels il évolue, Mauriac encre ses écrits dans la réalité de la vie des années 20-50 du sud-gironde.
Bien qu’il s’astreigne à faire la distinction entre l’intrigue et son théâtre et les véritables personnes côtoyées dans ces lieux, Mauriac semble convaincu de l’attachement viscéral des provinciaux à leur demeure. Lui même accorde une place primordiale aux murs qui accueillent ses intrigues. Il écrira à ce propos :

« Je ne puis concevoir un roman sans avoir présente l’esprit, dans ses moindres recoins, la maison qui en sera le théâtre; il faut que les plus secrètes allées du jardin me soient familières et que tout le pays d’alentour me soit connu. »
Souvent pris par la fièvre de l’inspiration, Malagar, nous dit-il devenait « une véritable forcerie de travail à l’usage du romancier ou les livres mûrissent en trois semaines, où bousculé par mon démon j’écris si vite que je ne puis me relire si je néglige de dicter le soir même mon travail de l’après-midi... ».

Dans cette maison typique de la région, encore aujourd’hui « dans son jus », les stimulations sensorielles ne manquent pas. Du rayon de soleil caressant le plancher en bois de chêne de la salle à manger à l’odeur du réséda flottant dans l’air, cette maison regorge de détails qui furent les fondations de ses romans.

L’exemple le plus évident de la place que prit Malagar dans la vie littéraire de Mauric reste Le Noeud de Vipères.
Lire ce roman c’est suivre Mauriac déambulant de la chambre au perron de sa demeure.

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AU VITICULTEUR
Outre la dimension familiale du domaine, Malagar reste avant tout un domaine viticole. Les 20 hectares de terres furent entièrement replantées en vignes lors de l’acquisition du domaine par la famille Mauriac.
Lorsque François Mauriac en hérite en 1927, ce domaine viticole le renvoie à ses racines familiales et terrienne : le rapport à la terre se fait tangible et concret. Il retrouve alors les attitudes et gestes de tout propriétaire agricole. Cet attachement transparait également dans ses livres et notamment dans la scène de la grêle dans le Noeud de vipères. C’est ici une personnification de la terre, une élévation au rang de personnage.

« À gauche, vers l’ouest, s’étend la vigne, dans le sommeil de la sieste, où dans l’approche du crépuscule; la vigne, pour moi vivante, heureuse, souffrante, pressant contre elle ses grappes; mille fois menacée : les orages, la grêle, la canicule, la pluie, sans compter les maladies aussi nombreuses que celles qui atteignent les créatures humaines. Impossible à son maître de la voir du même œil que le visiteur indifférent. »

FM, Journal II, 1937
Si la famille Mauriac avait initialement acquis Malagar dans le but d’en faire un espace d’agrément la gestion du vignoble et de l’exploitation resta minutieuse. Un témoignage tangible nous est accessible grâce à la publication du livre de Raison dans le quel Francois, y consigna à la suite de ses ancêtres, les comptes et l’agrémentera de différentes notes tant sur la gestion que ses réflexions sur la culture de ses terres.

À l’image de Malagar, la vie et l’oeuvre de Francois Mauriac est vaste. Écrivain régionaliste, journaliste engagé, propriétaire passionné, autant de portes d’entrées possible pour découvrir cette grande figure du 20ième siècle aux allures plurielles.